====== Des Lieux Protéens ======
Que d’élucubrations d’un esprit dérangé ! Un babillage prophétique ! Du mysticisme, rien de plus. À peine digne d’être qualifié de raisonnement.
Dr. Géraldine Patraticus
Il n’y a pas si longtemps qu’en tant que ceux dotés d’une perception stable et rationnelle, ceux ne cédant pas aux sirènes des réponses simples et imbroglios radicaux, nous fûmes considérés comme étrangers. Bannis des amphithéâtres que nous avons érigés ! J’ai moi-même souffert d’avoir été malmenée par les brigades de ses adorateurs.
Au cours de ces dernières années, il semblerait que les fondations mêmes de la délicate armature que forment les études Protéenes aient été ébranlées. Les imbéciles ricanent follement dans les rues, les étudiants radicalisent leurs notes marginales, les sages se lamentent en sanglots, et les experts sont destitués.
Ils m’ont marquée de lignes régulières ! Mes livres brûlés, mon logis vandalisé. Je prie pour qu’aucun étudiant peuplant ces amphithéâtres n’ait à l’avenir à goûter sur sa langue l’amertume de la cendre de ses propres livres, ou à ressentir le poids d’une masse de plomb icosaèdrale dans sa main alors qu’il avance nu sur le sable, dépossédé et forcé de se battre sous les huées de ceux qui furent ses amis. En entendant le tollé méprisant de vos étudiants, le babillage susurrant des lutins turfistes arrangés en orgue jaillissant de flûtes bouillonnantes. Connaître l’étrange sensation de son bras abattant la masse de plomb émoussé pour fracasser un candide sourire de calcédoine. Ses yeux fixés vers le bas… Ils étaient innocents ! Innocents !
Le noble Ibn Afdal a montré que, de même que la fleur s’élève pour s’exposer au soleil, la matière brute se trouve attirée toujours plus près de la forme humaine, sans nul doute en imitation du très haut.
Il n’est pas vrai qu’ils soient chacun les ambassades et portails d’étranges mondes rivaux. Elle ment pour les qualifier de démons, ou d’esprits morts par le feu. Ils ne sont pas les équations ratées des sombres mathématiques d’une race oubliée. Il n’existe pas de telle race. Les rumeurs des villes en ruines mentent. Ils ne sont pas non plus des anges de la terre. Le feu n’a que faire de contempler vos actes. L’eau n’a ni conscience ni regrets. Vous n’êtes pas observée par des yeux silencieux au sein, à l’intérieur, de chaque flamme de bougie. Les lignes encodées par une pluie douce sur un verre vertical ne sont que chance. Il n’y a pas de langage à y lire. Ils n’ont aucune présence dans vos rêves et ne peuvent vous y poursuivre. Proscrivez ces pensées insensées ! Ceci est (une fois de plus) une discipline d’analyse sérieuse et réaliste.
Elle s’incarne initialement en formes symétriques pures et pourtant simplistes. Les Lieux Protéens. Expressions directes de sa puissance primale. Puis, pour ceux infus d’une promesse plus grande ou d’une germe de pensée, elle assemble une grossière esquisse comportementale de l’étincelle humaine : la forme du presque-humain. Les créatures que les crétins sans éducation nomment « Lutins ».
Elle affirme que les formes sont erronées. Les apparences semblables à l’homme, une complainte désordonnée. La forme humaine, une boucle entropique. Énergie et chair s’abaissant en un nœud spiralé, sa forme dans le flux du temps : ton crâne grimaçant !
Dans le cas de l’humanité, le processus fonctionne de la même façon, mais en sens inverse. Nos propres formes sont les réflexions de la (sans nul doute éthérée et par conséquent incorruptible) géométrie transcendantale des cieux. Le lieu d’où viennent les âmes. Le fait que les « noyaux » humains n’aient jamais été découverts est enfantin à expliquer. Notre « noyau », ou « âme » comme diraient nos confrères religieux, provient d’un plan supérieur et s’avère indétectable à nos grossiers sens matériels. Glankoröök a théorisé un noyau humain courbé sur des dimensions invisibles, et nous étant par conséquent imperceptible.
« Ne s’élevant pas en forme d’homme mais sombrant vers les abysses insondables de l’annihilation entropique. »
Chacun approche de sorte la forme de l’humain, pour ainsi dire, au milieu. Les éléments s’élèvent en insipides formes polyédriques. Ces « noyaux » puissants mais dépourvus de sens tentent ensuite naturellement d’animer les matériaux à leur disposition pour produire la forme infiniment plus parfaite de l’humanité. De même, l’humanité choit de son domaine de splendeur abstraite, s’incarnant initialement en l’intangible construction hyper-dimensionnelle que nous appelons l’âme ; puis, grâce à de subtils arrangements de chair, en ces domiciles de sang et d’os. Une forme simple, pourtant démesurément plus complexe que celle des Lieux Protéens.
Supercherie ! Mensonges ! Elle se tient sur les épaules de géants et pourtant leur crache dans les yeux. C’est une insulte envers les générations saintes nous ayant menés jusqu’ici.
Nous pourrons constater une vaste différenciation de formes et capacités des créatures Protéenes ou « Élémentaires ». Typiquement, les formes supérieures semblent approcher plus aisément les aspects les plus fins de l’humanité. Beauté, pensée, ordre et compréhension abstraite sont produits par les fragments possédant un potentiel plus élevé et subtil. Ceux dépourvus de telles capacités, mais possédant toutefois une puissante « destinée de vie » se rencontrent premièrement sous forme pseudo-animale, puis sous forme polyédrique.
Elle prétend que l’homme n’a pas de noyau. Que la chair des Lieux Protéens n’est rien de plus qu’un rêve halluciné, une bulle d’eau sur une vague immobile se laissant absorber par le sable. Elle nomme la chair une « addiction au ciel ». Radicalisme ! Rien de plus. Suivre les séductions fomentées par cette anticonformiste. Où cela peut-il bien mener ? À l’abandon de la logique. La destruction du schéma cosmique dûment et soigneusement observé. Fort heureusement, la grande roue de la « mode » académique a tourné une fois de plus, et ne pivotera plus jamais. Elle est bannie à présent. Ses travaux amendés. Elle ne sera jamais retrouvée. Je vous enjoins à ne pas la poursuivre dans les ténèbres. Quelles que soient les mesures que nous ayons dû prendre, elles étaient légales, légitimes et justes. Aucune trace n’en subsiste.
D’après le théorème d’Afdal, on observe de façon générale une loi inverse entre subtilité et humanité apparente d’un Lieu Protéen, et ses pouvoirs matériels. Tout comme dans les sociétés et cultures humaines, on constate que ceux dotés des sensations les plus fines et consciences les plus riches se différencient de ceux échus d’une carrure brute et de perceptions simples. L’un convenant à la cognition et au commandement ; l’autre à l’obéissance et la servilité joyeuse et niaise. Ceci est un autre exemple d’”imitation” de la part du monde des éléments du monde visible de l’humanité, illustrant à nouveau que l’étude élémentaire est mesurable, rationnelle, compréhensible. Prédictible.
L’Étude Élémentaire (ou, comme elle est connue dans le patois des salons de thé et du caniveau, l’« Art Brut »), consiste à tracer les lignes de tension dans la relation entre chaque forme « vivante » et son noyau, et entre chaque noyau et l’élément pur lui ayant donné naissance. Plus exhaustivement nous étudions (et en cette discipline profonde et progressant sans fin, même les sages doivent se considérer éternels étudiants), plus notre compréhension progresse et plus nous manipulons finement ces vecteurs transitionnels, et occasionnons des réponses puissantes.
Ses arguments sont vides et son intellect livide, vierge, vermoulu d’erreurs et digne seulement de mépris, comme je vais à présent le prouver.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, un bref avertissement de sécurité. Tout étudiant rêvant de feu animé ou de globes de pensée liquide doit se signaler de lui-même à la faculté. Le non-respect de cette consigne résultera en un bannissement immédiat aux Archives du Cauchemar.
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